L'évaluation des services écosystémiques
Que sont les services écosystémiques ?
L'homme utilise un large éventail de services et de matières premières que les écosystèmes produisent. Ces avantages sont communément appelés "services écosystémiques" et comprennent à la fois des produits (par exemple l'eau potable) et des processus (par exemple la décomposition des déchets). Parallèlement à la croissance démographique, la demande de matières premières et de services fournis par les écosystèmes augmente également. Beaucoup ont longtemps cru que les services écosystémiques étaient gratuits, invulnérables et inépuisables. Mais aujourd'hui, l'impact de leur utilisation et la surexploitation des milieux par l'homme est de plus en plus évident : par exemple, la qualité de l'air et de l'eau est menacée, les océans sont surexploités, les parasites et les maladies se propagent au-delà de leurs frontières historiques, la déforestation menace la protection naturelle contre l'érosion, etc.
L'homme prend de plus en plus conscience que les services fournis par les écosystèmes ne sont pas inépuisables et sont menacés, et qu'il faut trouver un équilibre entre les intérêts humains à court et à long terme. Le concept consistant à considérer la nature et les paysages comme producteurs de services écosystémiques nous permet de valoriser les avantages de la nature et des paysages et fournit un cadre pour rassembler et intégrer les différents aspects sociaux, économiques et environnementaux.
Dans un contexte international, le concept de services écosystémiques fait l'objet d'une grande attention. Les Nations unies ont publié l'Évaluation des écosystèmes pour le millénaire (MEA) en 2005. Plus de 1 360 scientifiques et experts du monde entier ont fait le point sur la biodiversité (Pour rappel, la biodiversité est définie au sens large, la biodiversité, ou diversité biologique, désigne la variété et la variabilité du monde vivant sous toutes ses formes. Elle est définie plus précisément dans l'article 2 de la convention sur la diversité biologique comme la "variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes") et les ressources naturelles dont dispose l'homme. Ils ont conclu que 15 des 24 services écosystémiques examinés dans le monde sont en déclin parce qu'ils ne sont pas utilisés de manière durable. Cette conclusion des scientifiques a également conduit de plus en plus de politiciens et de décideurs à reconnaître l'importance du concept de services écosystémiques. Par exemple, la conférence des Nations unies sur le développement durable (RIO+20) fait référence à la sauvegarde des zones où la biodiversité et les services des écosystèmes sont importants. Dans la stratégie de l'UE en matière de biodiversité, la Commission souligne l'importance des services écosystémiques et déclare vouloir investir dans la cartographie et l'évaluation des services écosystémiques et de leurs processus sous-jacents (projet MAES). L'initiative TEEB (The Economics of Ecosystems and Biodiversity) fournit un cadre pour cartographier les avantages économiques de la biodiversité ou les coûts croissants de la perte de biodiversité.
C'est suite au constat de la dégradation continue de la biodiversité et des services associés qu'est née Panama City, le 21 avril 2012, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). C'est un organe intergouvernemental indépendant créé par 94 états pour renforcer l'interface science-politique en matière de biodiversité et de services écosystémiques pour la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité, le bien-être humain à long terme et le développement durable. Les travaux de l'IPBES peuvent être regroupés en quatre domaines complémentaires qui font l'objet de publications séparées depuis la création de l'organe:
- Réaliser des évaluations : sur des thèmes spécifiques (par exemple, "Pollinisateurs, pollinisation et production alimentaire") ; sur des questions méthodologiques (par exemple, "Scénarios et modélisation") ; et aux niveaux régional et mondial (par exemple, "Évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques").
- Soutenir les décisions politiques : identifier les outils et méthodologies pertinents pour les politiques, faciliter leur utilisation et catalyser leur développement futur.
- Renforcer les capacités et les connaissances : identifier et répondre aux besoins prioritaires en matière de capacités, de connaissances et de données de nos États membres, experts et parties prenantes.
- Communiquer et sensibiliser : assurer la plus grande portée et l'impact de notre travail.
Un nouveau rapport 'biodiversité et changement climatique' (Le rapport Biodiversité & Crises climatiques) co-publié par le GIEC et l'IPBES est paru le 10 juin 2021. Il s'agit de la toute première collaboration entre l'IPBES et des scientifiques sélectionnés du GIEC qui s'attaquent ensemble aux crises climatiques et à leur impact social combiné. Par ailleurs, le résumé à l'intention des décideurs politiques (Le résumé à l'intention des décideurs politiques (SPM)) de la toute première évaluation des écosystèmes à l'échelle de l' UE 2020 a été publié le 20 mai 2021. Ce travail a analysé l'évolution des pressions exercées sur la biodiversité et l'état des écosystèmes européens. Un message clé est que l' UE a besoin d'un réseau d'observation de la biodiversité plus performant et d'un rapport plus cohérent sur l'état des écosystèmes.
Pourquoi évaluer les services écosystémiques ?
L'analyse des services écosystémiques présente l'avantage de mettre en évidence la dépendance et les interactions entre les écosystèmes et les sociétés humaines. Elle permet aussi de révéler les relations de dépendance entre les acteurs d'un même territoire ainsi que les externalités négatives de certaines activités (Maebe et al. 2018).
Réaliser un diagnostic d'évaluation des SE, par son caractère global et inclusif, permet notamment de servir de support aux démarches participatives réunissant une grande diversité d'acteurs et d'utilisateurs directs et indirects et/ou de proposer un excellent outil pédagogique et de communication.
L'évaluation des SE, notamment au travers de cartographies, peut également servir de base à des outils d'aide à la décision, rendant ces évaluations disponibles à un plus large public et aux décideurs (Grêt-Regamey et al. 2017).
Quelle est la valeur économique d'un écosystème ?
Lorsque nous pensons à la valeur de quelque chose, nous pensons souvent à l'utilité ou à l'importance que cette chose a pour nous. En d'autres termes, la valeur indique à quel point quelqu'un veut quelque chose. En termes économiques, la valeur signifie "la quantité de quelque chose d'autre que nous sommes prêts à abandonner pour l'obtenir". Cette valeur est déterminée par les préférences individuelles. La valeur étant en soi un concept intangible, l'homme a très tôt cherché des moyens de la rendre mesurable. Ainsi, dans le passé, la valeur était exprimée en quantités de biens tangibles tels que le grain ou le métal. Aujourd'hui, la valeur est classiquement exprimée en termes monétaires. La quantité d'argent qu'une personne est prête à payer pour quelque chose nous renseigne sur ce que cette personne est prête à abandonner en termes d'autres biens et services pour obtenir ce bien ou ce service particulier. Nous appelons cela la volonté de payer (willingness to pay, en anglais). L'argent n'est donc qu'une unité de mesure.
On suppose très souvent que le prix du marché est égal à la valeur d'un bien ou d'un service. Ce n'est souvent pas le cas. Pour les services écosystémiques, la valeur est rarement égale au prix que nous payons, car la plupart des services écosystémiques ne peuvent être trouvés sur un marché et sont donc "gratuits". Cela ne signifie pas que leur valeur est nulle ou que nous ne pouvons pas déterminer cette valeur. Il existe plusieurs méthodes pour cela, qui sont brièvement expliquées dans ce manuel. Même les services écosystémiques qui sont vendus n'ont pas nécessairement le bon prix parce que le marché ne fonctionne pas parfaitement (par exemple, les subventions ou coûts environnementaux ne sont pas répercutés sur les prix, les situations de monopoles, etc…).
L'objectif de l'évaluation économique d'un écosystème est de déterminer sa valeur économique totale, ou en d'autres termes, de déterminer la contribution totale des écosystèmes à la prospérité et au bien-être de l'homme. Un écosystème peut être considéré dans un sens plus large que les zones naturelles de haute valeur biologique. Les zones agricoles ou les espaces verts urbains fournissent également des services écosystémiques.
La valeur économique totale se compose de deux grandes parties : la valeur d'usage et la valeur de non-usage.La valeur d'usage comprend :
- une valeur d'usage direct : nous tirons des biens et des services directement de l'écosystème, comme le bois, les loisirs et le fait de faire l'expérience sensorielle de l'écosystème,
- une valeur d'usage indirecte : nous tirons des services qui ont un effet indirect sur notre prospérité et entraînent des économies pour la société dans son ensemble, comme l'épuration de l'eau, la protection contre les inondations, etc.
La valeur de non-usage comprend :
- une valeur de transfert : la disponibilité d'espaces verts est importante pour les générations actuelles et futures,
- une valeur d'existence : nous attachons de l'importance au fait qu'il y ait de l'espace pour les plantes et les animaux et à la présence de ces plantes et animaux eux-mêmes,
- une valeur d'option : nous attachons de la valeur au fait qu'une zone nous donne la possibilité d'utiliser un bien ou un service dans le futur (sans en faire réellement usage aujourd'hui). Dans la littérature, cette valeur est parfois incluse dans la valeur d'usage.
Outre la valeur économique, une valeur intrinsèque est également attribuée aux espaces verts. Il s'agit de la valeur que possède une chose, indépendamment de son contexte, de son environnement ou de sa position dans un ensemble plus vaste. La nature a une valeur en soi sans avoir besoin d'avoir une valeur pour les gens. La valeur intrinsèque ne doit pas être confondue avec la valeur d'existence (la valeur que nous attachons à l'existence des plantes et des animaux).
Pourquoi évaluer la valeur économique des écosystèmes ?
Les écosystèmes fournissent toute une série de services qui contribuent à notre prospérité. De nombreux secteurs tels que l'agriculture, la pêche, l'énergie et l'industrie (produits pharmaceutiques, tourisme, etc.) dépendent de la biodiversité et des services écosystémiques. La valeur économique de nos écosystèmes et de leur riche biodiversité est donc considérable. Malgré leur importance pour la société et notre économie et l'existence d'un grand nombre de textes législatifs (par exemple, les directives "Habitats" et "Oiseaux" et la loi sur la conservation de la nature), la biodiversité mondiale est toujours en déclin. Les objectifs en matière de nature ne sont souvent pas atteints, bien que le nombre de réalisations sur le terrain soit en augmentation. Les avantages des écosystèmes sont ignorés dans de très nombreuses décisions. Les principales raisons en sont les suivantes :
- Les écosystèmes présentent de nombreuses formes d'avantages dont l'impact n'est pas toujours appréciable au niveau local. La fonction de lutte contre les inondations en est un exemple. Les conséquences de l'imperméabilisation se font surtout sentir en aval.
- Il existe un conflit d'intérêt entre les avantages privés et les avantages sociaux. Par exemple, les revenus tirés de la construction de logements qui impliquent l'artificialisation d'une parcelle boisée par rapport aux avantages qu'une forêt peut générer en tant que poumon vert, régulation du climat, loisirs, etc.
- Peu de services écosystémiques sont échangés sur le marché et ont un impact financier direct sur le décideur.
- Les coûts de la conservation et de la restauration des écosystèmes doivent être payés immédiatement et doivent souvent être réalisés localement, alors que de nombreux avantages sont supra-locaux et ne se manifestent que dans le futur. Un exemple est la construction de bandes enherbées sur les terres agricoles qui ont un impact indirect sur la qualité des eaux de surface.
L'évaluation économique peut être utile à plusieurs niveaux :
- Rendre visible la valeur des écosystèmes et communiquer à ce sujet permet de susciter le soutien et la participation du public aux initiatives en faveur de l'environnement et de la nature,
- Les gestionnaires font des choix concernant l'allocation des budgets sur une base quotidienne. Ces choix sont implicitement ou explicitement fondés sur des valeurs sociales. Ils sont de plus en plus confrontés à des questions concernant la justification de leurs choix en matière de projets de conservation et de restauration de la nature et le bien-être social qui en découle,
- La transparence des différentes conséquences des projets visant à améliorer les écosystèmes contribuera à une meilleure prise de décision, avec une plus grande recherche de situations gagnant-gagnant entre les différents objectifs économiques, environnementaux et sociaux,
- La valeur économique des changements apportés aux espaces verts peut être incluse dans des outils d'aide à la décision tels que :
- des analyses coût-bénéfice pour hiérarchiser les projets de conservation et de restauration ou pour démontrer le rendement des projets par € dépensé,
- les analyses coûts-bénéfices sociaux pour comparer différents projets ou programmes politiques,
- des analyses multicritères.